Keith Gray, fondateur de Dyslexie Canada, a rédigé cet article d'opinion publié dans le Financial Post. Keith explique l'importance du dépistage pour s'assurer que les enfants ayant des difficultés de lecture sont identifiés rapidement et qu'une intervention peut commencer avant qu'ils ne prennent du retard par rapport à leurs camarades.

Jusqu’à 750 000 écoliers canadiens pourraient être dyslexiques. Le dépistage précoce est essentiel

Keith Gray, Spécial Financial Post

Publié le 30 novembre 2023

Depuis des années, dans les pages économiques du Canada, les chefs d’entreprise, les décideurs politiques et les experts de tous bords réclament à cor et à cri que nous devenions plus compétitifs et plus productifs. Nous sommes en train de prendre du retard, plaident-ils dans des articles d’opinion, en lançant des avertissements : Réveillez-vous, Canada, ou nous sombrerons dans l’oubli économique.

En supposant que ce disque rayé soit correct, pourquoi l’avons-nous entendu pendant tant de décennies avec si peu de résultats ? Il ne fait aucun doute que de nombreux aspects de l’amélioration de la productivité et de la compétitivité sont complexes, mais il existe une solution évidente : apprendre à lire aux enfants canadiens, en particulier aux quelque 750 000 écoliers qui luttent contre la dyslexie, soit trois ou quatre dans chaque classe.

Ces chiffres sont basés sur les données de l’Association internationale de la dyslexie, qui indiquent que 15 à 20 % de la population est dyslexique. L’AID signale également que 85 % des élèves souffrant de troubles de la lecture sont dyslexiques. Mais c’est un problème qui peut être résolu dans une large mesure.

Et les retombées sont potentiellement importantes : une étude réalisée en 2020 par Deloitte Canada pour la Fondation canadienne pour l’alphabétisation des enfants cite des recherches estimant qu’une augmentation de 1 % du taux d’alphabétisation des adultes pourrait entraîner une hausse de 2,5 % de la productivité du travail et une augmentation de 1,5 à 3 % du PIB par habitant. Cela représente potentiellement 67 milliards de dollars de croissance économique annuelle supplémentaire. De l’argent sérieux. C’est plus qu’il n’en faut pour payer la facture d’intérêts du gouvernement fédéral chaque année.

Les 750 000 enfants canadiens touchés par la dyslexie représentent presque le double du nombre d’adultes canadiens directement et indirectement employés par l’industrie automobile canadienne, et voyez comment le pays se plie en quatre pour attirer les entreprises liées aux véhicules électriques. Le secteur automobile est au cœur de l’économie canadienne depuis des décennies et on peut espérer qu’il en sera de même à l’avenir. Mais sans une intervention précoce, ces 750 000 enfants ne gagneront peut-être jamais assez pour s’offrir l’un de ces nouveaux véhicules électriques.

Les difficultés rencontrées par le nombre encore plus important d’adultes canadiens dyslexiques ont probablement été ignorées à l’époque où ils fréquentaient l’école publique, et ils ont sans aucun doute payé un prix douloureux pour un trouble neurologique qui peut être traité avec succès s’il est détecté à temps.

Outre les avantages économiques, il existe un besoin social urgent. Les enfants dyslexiques qui ne reçoivent pas d’aide à temps prennent du retard et sont étiquetés comme débiles. Je sais. J’étais l’un d’entre eux. En troisième année, j’ai reçu le bracelet et j’ai été recalé parce que j’avais du mal à lire. C’est un souvenir douloureux et, plusieurs décennies plus tard, la dyslexie me hante encore d’innombrables fois par jour. Mais j’ai réussi à m’en sortir. La plupart n’ont pas cette chance. Ils sont souvent victimes de brimades et d’abus, et sont plus exposés au chômage, à la pauvreté, au sans-abrisme et aux problèmes de santé mentale.

« Mon plus jeune frère souffrait de dyslexie », peut-on lire dans une lettre bouleversante que j’ai reçue, « et je crois que c’est ce qui l’a poussé à mettre fin à ses jours à l’âge de 30 ans. » Tragiquement, il y a beaucoup d’autres histoires comme celle-ci. Selon une étude de l’Université de Toronto, 34,5 % des adultes dyslexiques disent avoir été maltraités dans leur enfance.

Il y a des progrès, mais ils sont lents. Le rapport « Le droit de lire », publié l’année dernière par la Commission ontarienne des droits de l’homme, a fait bouger les choses en soulignant que ses conclusions « sont une question d’équité globale dans l’éducation. » Il faut reconnaître que le gouvernement de l’Ontario a annoncé des plans pour un nouveau programme d’études pour cet automne, y compris l’objectif d’un dépistage universel pour les enfants de la maternelle à la deuxième année. Le plus tôt sera le mieux. Il faut quatre fois plus de temps pour intervenir efficacement auprès d’un enfant de quatrième année qu’auprès d’un enfant de maternelle. Alors que le Manitoba et la Saskatchewan mènent également des enquêtes sur les droits de l’homme en rapport avec la lecture, la triste vérité est que les progrès nationaux sur cette question sont glaciaux.

Il n’est pas facile pour les enfants dyslexiques d’apprendre à lire, mais du point de vue des politiques publiques, c’est un jeu d’enfant. Grâce à un dépistage précoce suivi d’une intervention ciblée, la plupart des enfants dyslexiques peuvent lire, ce qui leur donne une chance d’apprendre comme les autres enfants. Une approche fondée sur la science et les faits est nécessaire, les enfants devant recevoir un enseignement phonétique, qui est tombé en désuétude il y a plusieurs dizaines d’années. Les problèmes d’alphabétisation de 95 % des enfants peuvent être évités, ce qui ouvre les perspectives glorieuses de la lecture et du plaisir, de la connaissance, de la pensée et des idées qu’elle apporte.

Outre l’impératif moral de mettre fin à l’angoisse des enfants dyslexiques et de leurs familles, il s’agit d’une victoire potentielle considérable pour la future main-d’œuvre du Canada. Nous créons des banques d’infrastructure, subventionnons telle ou telle chose et sommes constamment à la recherche d’objets industriels brillants qui, nous l’espérons, favoriseront la croissance économique et la prospérité. Et si nous investissions dans nos enfants pour les aider et aider notre pays en même temps ?

Keith Gray, cadre retraité de la Banque TD, est le fondateur de Dyslexie Canada.